Les Racines de l’hiver – le poids de nos ancêtres chapitre 5 et 6

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Allez bonne lecture à toi !

Barbedouce le soyeux

Chapitre 5

            Jeudi 16 Décembre à 15h30, les trois colocataires étaient dans la maison. Ils tournaient en rond, l’enquête avait débuté ce matin et aucun résultat n’était encore prononcé. En général le C.I.G ne mettait pas plus de deux heures à rendre leur verdict. Cela pouvait paraître injuste mais ils avaient une telle quantité de sites à traiter, surtout en comptant tous ceux qui dataient d’avant.

             Les sites d’avant étaient les sites qui n’avaient pas subis le contrôle de mise en circulation du C.I.G. Les serveurs, data centers et autres fermes électroniques étaient devenus un tel gouffre en énergie, qu’il fallait bien réguler la quantité de données stockées.

            Parfois les sites ne recevaient que de simples blâmes, des mesures d’allégements, ce qui les forçait à réviser leurs sites, en supprimant ou en remodelant certaines parties. Mais parfois ils étaient juste jugés trop polluants et/ou trop inutiles, à ce moment-là le verdict était la fermeture pure et simple.

             www.tonvoisinprévient.tr n’était pas un gros site, il n’avait pas une grande audience et il était plus ou moins la copie d’autres sites du genre. Le .tr était choisi pour représenter l’implantation à Trets, bien qu’ils couvraient aussi les évènements de la région PACA. Or il y avait au moins quatre autres sites avec un nom quasi-similaire, éparpillés dans d’autres régions de France.

            Melvyn fixait l’horloge, bientôt seize heures, la vie allait reprendre à l’extérieur. Il avait mal dormi de midi à quinze heures, les pensées perdues dans le vague, anxieuses.

            Ils faisaient peut-être les fiers il y a deux jours, mais le jour J c’était une autre histoire. Même Léna, faisant semblant de s’occuper en lisant, semblait nerveuse et se frottait le pouce gauche mécaniquement.

            Au bout d’un moment elle se leva et annonça souriante.

            « Bon je dois aller faire ma participation aux champs, je vous laisse.« 

            « La chance, sourit Melvyn, amuses-toi bien.« 

            Alors que Léna prenait ses outils et enfilait sa salopette de travail, Jade faisait les cent pas. Puis soudainement elle claqua des mains si brusquement que Melvyn sursauta.

            « Bon, annonça-t-elle, ça ne sert à rien de tourner en rond, on saura bien ce soir. Je vais aller voir s’ils ont quelque chose pour moi. L’Office du Travail Collectif ne manque jamais de tâches d’intérêt général.« 

            « Ah d’accord ! Tout le monde quitte le navire quoi. » S’offusqua Melvyn.

            « Tu n’as qu’à faire pareil, le sermonna Jade, à quoi ça sert de rester là, à se ronger les sangs. On ne va pas faire un reportage si on ne peut pas le publier. Allons porter assistance aux voisins ou à la ville, ce ne sera pas du temps de gaspillé. » Décréta Jade.

            Melvyn acquiesça, il prit cependant un temps fou à se préparer. Jade ne l’attendit pas suffisamment longtemps d’ailleurs et il se retrouva seul dans cette maison aux volets clos.

            La seule lumière venait de leur ordinateur tournant sur batterie, car impossible de le connecter au secteur avant les heures autorisées. Seules les lignes téléphoniques et appareils médicaux étaient autorisées à être branchés durant ces heures-là.

             Il était ouvert sur la page d’accueil de leur site et Melvyn il avait beau rafraîchir la page, il n’y avait rien de changé. Pas d’e-mail non plus, pas de mauvaises nouvelles, ni de bonnes. Il essaya de chasser les mauvaises pensées puis, fin prêt, Il éteignit l’ordinateur et brava l’extérieur. Une vague de chaleur le cueillit à la sortie, s’engouffrant dans le hall d’entrée, il accusa le coup et se dirigea vers la mairie.

*

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            Le soir même, les trois étaient de retour à vingt-deux heures, enfin pour être précis, Léna les attendait depuis une demi-heure, lorsque les deux derniers furent de retour.

             Jade et Melvyn s’étaient rendus à la mairie et on leur avait confié des tâches simples, des entretiens de clôtures dans les quartiers voisins, du désherbage, de la récolte fruits et légumes sur les routes végétalisées. Rien de bien compliqué en soi mais il y avait toujours de quoi faire.

            Léna ne semblait pas les avoir entendu rentrer, elle se tenait sur le fauteuil du bureau, les bras croisés, fixant l’écran qui affichait une page de texte.

            Voir Léna si immobile, si sérieuse, inquiéta les deux travailleurs. Ils s’approchèrent, l’e-mail était caractéristiquement sobre à la bonne vieille manière du C.I.G, ils virent tous deux la mention ‘Rejeté – supprimé dans deux jours’ écrite en gras.

            Jade poussa un juron et Melvyn s’appuya les poings sur la table, dépité. Léna semblait toujours perdue dans ses pensées. Aucun d’entre eux ne semblait vouloir s’étaler là-dessus, Le coup était difficile à encaisser et ils n’en revenaient pas qu’un simple interview, leur ait causé tant de tort.

            La soirée commençait mal, ils s’en furent chacun de leur côté, afin de quitter leur tenue de travail, une fois changés et débarbouillés ils commencèrent leur routine du soir. Melvyn se mit aux fourneaux, Jade alla dans le jardin pour vérifier les plantations et Léna profitant de la lumière de la cuisine, se mit à raccommoder des vêtements très usés. C’était devenu une pratique courante, de ne pas jeter des habits avant qu’ils ne soient complètement détruits.

            Une fois que ce manège fut fini sans qu’aucun mot ne soit prononcé, ils se mirent à table. Le silence devenait trop pesant aussi Melvyn, avec un effort surhumain, se débloqua la gorge.

            « Bon qu’est-ce qu’on fait ?« 

            Les deux femmes levèrent les yeux, contentes que quelqu’un ait brisé la glace.

            « J’imagine, balbutia Jade, qu’on va tenter un recours.« 

            « J’ai lancé un appel à nos amis, enchaîna Léna, ils nous passent leurs données de leurs sites, comme ça on fera un comparatif avec les données de notre blog. J’ai déjà lancé la sauvegarde de nos fichiers, ça nous fera une bonne preuve à l’appui pour le recours, une preuve disant que l’on n’est pas si polluant ou inutile que ça.« 

            « Je pense, ajouta Melvyn, que je vais faire un sondage manuel avec nos voisins, pour voir s’ils connaissent et jugent notre blog utile.« 

            « Ce ne sera pas jugé très favorablement par le C.I.G. » lui rétorqua Jade.

            « ça dépend du nombre de signatures, assura Melvyn, on doit mettre un maximum de chances de notre côté.« 

            Ils continuèrent à débattre de la stratégie à mettre en œuvre une heure durant, le moral revint peu à peu à la tablée. Après avoir débarrasser les restes de leur frugal festin, Melvyn se rendit dans sa chambre.

            Il prit son vieux portable et appuya sur le bouton des numéros mémorisés, il hésita un moment entre Amandine et Léo, puis il sélectionna Amandine. De toutes façons avec un peu de chances, Léo serait à côté.

            Il n’y eut que trois sonneries et il entendit la voix enjouée d’Amandine crier un ‘Allo ?’

            « Salut Mandy je ne te dérange pas ?« 

            « Jamais mon chou, jamais. Qu’est-ce qu’il y a ? » S’enquit la jeune femme.

            À la question d’Amandine, Melvyn su que sa voix transpirant la lassitude, l’avait trahi.

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            « Pas une bonne nouvelle, le C.I.G ferme notre site…« 

            « Ah les bâtards ! Hurla-t-elle dans le combiné. C’est qui le responsable ? S’il passe chez moi je lui crache dans ses courses ?!« 

            Melvyn eut un sourire, la spontanéité d’Amandine faisait souvent cet effet. Il entendit la voix se faire plus faible, il lui semblait qu’elle parlait à quelqu’un à côté et Melvyn reconnut la voix de Léo quand ce dernier cria aussi.

            « Et on va lire quoi nous les Tretsois le soir, hein ? » renchérit Amandine.

            « C’est gentil Mandy mais tu sais qu’il y a plein d’autres sites comme nous. » Rappela Melvyn.

            « Nan, j’en ai pas vu. » mentit-elle.

            « T’es trop, pouffa Melvyn, je savais que c’était une bonne idée de t’appeler.« 

            « Oh que oui, attends je te passe Léo avant qu’il m’arrache le téléphone des mains. » Le prévint-elle.

            Melvyn eut un petit rire en les entendant s’exclamer. Ils se battaient pour consoler leur ami, cela lui faisait chaud au cœur.

            « Allô ? Melv, C’est quoi ces conneries ? Quand est-ce que c’est arrivé ? » L’interrogea Léo.

            « Cet après-midi, on était au courant pour l’enquête et que … ça pouvait arriver. » Expliqua Melvyn.

            « Okay et c’est quoi la nouvelle adresse du site ? Tu deviens Al Pacino et la prohibition tu l’envoies chier ! Darknet direct mon gars. » Rétorqua le géant.

            Melvyn éclata de rire.

            « Al Capone tu veux dire ? » Le corrigea-t-il.

            « Exactement, puisque c’est ce que j’ai dit. » Mentit Léo avec une mauvaise foi palpable.

            Melvyn entendit Léo s’éloigner du téléphone pour demander à Amandine s’ils parlaient bien du célèbre criminel. Melvyn secoua la tête, même dans ces situations Léo avait toujours le mot pour rire, toutefois il devait reconnaître l’effet de la tactique, puisqu’il se détendait peu à peu.

            « Tu rappliques ce soir mon grand, on va boire un coup, quand je serais calmé je te fais un bon massage et on monte un plan. » Affirma Léo.

            « Ce serait pas cool pour Léna et Jade, je ne vais pas les laisser en plan comme ça. En plus on monte déjà un truc pour contester, d’ailleurs vous me donnerez vos signatures, n’est-ce pas ? » S’expliqua le journaliste.

            « Des deux mains Melv, vu que je ne suis pas ambidextre elles seront assez différentes, ça montera le compteur de la pétition plus vite ! » Plaisanta son ami.

            « T’es con Léo, change rien surtout.« 

            « Fidèle au poste, compte sur moi mon beau. Je te repasse Mandy je vais essayer d’aller me calmer.« 

            Melvyn lui souhaita une bonne soirée, quand Amandine reprit le téléphone, il y avait une indignation feinte dans la voix.

            « Alors tu m’appelles pour me dire que ça va pas et j’ai pas le droit de te faire un câlin. » Se plaignit-elle.

            « Je n’ai pas dit ça, juste que je vais rester avec les filles ce soir. Je passerai vous voir demain promis. » S’engagea Melvyn.

            « Y a intérêt, sinon on serait venus ce soir c’est tout. » Décréta Amandine.

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            « Merci Mandy, dit je voulais te demander aussi…« 

            « Oui trésor, dis-moi.« 

            « Si jamais on n’arrive pas à relancer le site, je pourrais peut-être venir travailler avec vous ? J’aimerais pas avoir à me tourner les p… » Commença-t-il à se justifier.

            « Non » l’interrompit Amandine.

            « Que ? Pardon, je… » Balbutia le journaliste.

            « Si tu ne fais plus le blog, tu VIENS travailler ici, c’est pas un peut-être. » Affirma énergiquement la jeune femme.

            Melvyn eut un grand sourire, elle venait de lui faire un petit ascenseur émotionnel, mais c’était d’une telle gentillesse, qu’il en fut touché.

            « T’es la meilleure Mandy. » La complimenta-t-il.

            « Oui et de plus en plus de gens s’en rendent compte, c’est fou le temps que ça met à se voir, quand même. » Fit-elle, feignant de se plaindre.

            « Tu penses que Léo sera d’accord ? Sur le fait que je vienne bosser je veux dire, il sait déjà que t’es la meilleure.« 

            « Je crois qu’il en a encore plus envie que moi, mais je peux me tromper, il en a peut-être seulement autant envie que moi.« 

            « Hey je reste en colloc’ avec les filles hein, vous n’êtes pas en train de me kidnapper. » Précisa Melvyn.

            «  Pas encore mon chou ça va venir, ça va venir. » Annonça-t-elle, mutine.

            La discussion ne s’éternisa pas, Melvyn tenait à rejoindre les filles pour les soutenir et continuer de discuter de la stratégie à mettre en place.

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Chapitre 6

            Melvyn se déplaçait dans les rues d’Aix-en-Provence, sous la canopée urbaine. Celle du cours Mirabeau était particulièrement impressionnante, un entrelac de végétation grimpante s’élevant à une douzaine de mètres du sol.

             Emplie de couleurs par l’automne tardif de l’époque, ce tableau était peint de diverses nuances de rouges, jaunes, oranges et verts. La faible brise faisait frémir et onduler ce champ flottant, son bruissement si caractéristique pouvait donner des frissons. Évoquant même à certaines personnes, les douces sonorités d’une forêt.

            Le sol du cours n’était pas en reste non plus. Melvyn, piéton depuis plusieurs décennies déjà, avait largement profité des politiques de végétalisation de la ville. Elles furent tant développées ces dernières décennies que l’on ne pouvait poser le regard quelque part sans y voir un arbre fruitier, une fleur ou un buisson. Le tout harmonieusement conçu pour le passage des personnes et des vélos. On pouvait même s’y perdre une demi-heure durant et en ressortir avec l’impression de s’être baladé en lisière de forêt.

            Melvyn n’était malheureusement pas d’humeur bucolique aujourd’hui, il venait aussi peu souvent qu’il le pouvait à Aix. Les gens étaient incités, depuis plusieurs années déjà, à réduire un maximum leurs déplacements inter-communautés. Les transports en commun étaient les rois de la route et ils étaient de moins en moins nombreux à se partager le titre.

            Les villes relocalisant leurs activités étaient de plus en plus à même de satisfaire tous les besoins de leurs habitants, et s’ils étaient insatisfaits, ces habitants, la plupart du temps ils déménageaient, trouvant ce qui leur correspondait ailleurs.

             La politique des transports en communs, depuis une vingtaine d’années permettait grâce aux impôts, un certain nombre de déplacements gratuits.

            Mais au-delà de ce seuil les tarifs étaient progressifs, pour éviter la surutilisation de véhicules, qui restaient encore polluants. Malgré le fait qu’ils soient électriques et qu’ils soient rechargés avec des panneaux solaires, pour la plupart. L’industrie des transports consommait encore une certaine quantité d’énergie, principalement due à la quantité de trajet et au renouvellement de l’équipement.

            Melvyn avait pourtant pris le bus, il se devait de le prendre. La veille il avait appris que son site était fermé et aujourd’hui il voulait le faire rouvrir, avant qu’il ne soit supprimé. Voulant possiblement éviter que le nom de domaine du site soit banni, la sanction devenant effective ce Samedi, la fenêtre de tir était mince.

             Aller sur le darknet n’était pas une option puisqu’ils voulaient faire de l’information grand public. Les lecteurs de www.tonvoisinprévient.tr n’étaient pas tous habitués à l’informatique. Les trois associés avaient toujours voulu que le site soit accessible au plus grand nombre.

            Et il se retrouvait aujourd’hui avec son dossier sous la main, n’ayant aucunement eu le temps de préparer le sondage qu’il avait évoqué. Il était déjà rédigé et imprimé, mais tous ses voisins et lecteurs avaient leur rythme de vie, de plus il ne pouvait récolter toutes leurs signatures en un jour.

            À la place, dans son porte-documents se trouvait une étude comparative, elle était réalisée sur la base des blogs similaires au leur, qui ressemblaient par leur taille, trafic et structure. Ces blogs n’avaient pas été jugulés par le C.I.G et ce depuis leur création, avec pourtant de nombreuses enquêtes à leur actif.

            Il avait aussi réussi à obtenir des mails de personnalités de la mairie, qu’il avait imprimé. Ces mails certifiaient l’utilité du blog et citaient des exemples d’articles qui avaient eu de la portée, informé les citoyens et permis une communication plus rapide, intra-communale.

            Cependant, si la fermeture était bien due au père Clément, cela serait d’une inutilité certaine.

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Melvyn ne pouvait s’empêcher de penser, au vu de leur irréprochabilité, que l’enquête était corrompue d’une quelconque manière. Qu’avait bien pu faire le prêtre ?

            Sans s’en rendre compte, il avait déjà passé la porte du C.I.G, se retrouvant dans le très grand hall de l’institution. Il passa brièvement à l’accueil, il n’eut même pas besoin de s’adresser à qui que ce soit, une pléthore de post-it étaient positionnés sur la vitre du comptoir d’accueil. En lisant les quelques-uns qui concernaient son cas, il comprit dans quelle salle d’attente il devait se rendre.

            Il se rendit dans ce qui semblait être la troisième pièce, celle des réclamations immatérielles, juste à côté des réclamations sur les brevets et inventions. Il put y apercevoir une flopée de personnes, avec dans leur mains une pléthore hétéroclite de machins et bidules en tous genres. Qui à première vue n’étaient pas tous évidents à comprendre, tant dans les fonctionnalités que dans le design.

            L’invention low-tech était devenu une grande tendance ces dernières années, mais leur prolifération était devenue presque incontrôlable. L’intention était bonne et tout un chacun était encouragé dans le système D. Bien des personnes étaient convaincu de l’utilité à grande échelle de leur invention.

            Alors le nombre d’auto-entrepreneurs, qui avaient essayé de lancer la production de leur invention, avait explosé. Pour réguler le marché et éviter des déceptions le C.I.G avait proposé un accompagnement à tous ces inventeurs, ainsi le label du C.I.G naquît et devint un sacré gage de qualité. C’est pourquoi autant d’inventeurs, aux inventions rejetées, venaient déposer une réclamation.

            Melvyn se retrouva au milieu des blogueurs, webmasters, écrivains et autres créateurs de softwares. Cette salle d’attente était bien plus grande que la voisine, en effet l’immatériel/dématérialisé était un secteur extrêmement fluctuent et bien plus rapide que le physique.

            Melvyn regarda sa montre pour constater qu’il n’était que dix-huit heures et pourtant le soleil n’éclairait déjà plus l’endroit, les lampes basses consommation avaient pris le relais, donnant une ambiance sombre et angoissante à la salle d’attente aux murs blancs. On avait beau dire que la couleur et l’originalité de la décoration pouvaient égayer ce genre de lieu, le C.I.G fidèle à lui-même, voulait exposer sa neutralité dans tous les moindres détails.

            Sobriété, neutralité, utilité et pas de dépenses inutiles.

            Cela pouvait se voir aux sièges maintes fois réparés, les tableaux à la craie sur les murs, tout le mobilier de récupération, un minimum d’appareils électroniques, mais beaucoup de système ingénieux de communications. Tout cela à base de vérins pneumatiques, de cornets et d’autres réseaux filaires, ainsi que le bon vieux bouche-à-oreille manuel, on se lève et l’on va chercher la personne dont on a besoin.

            Tout aussi ingénieux que fut le système la bureaucratie restait fidèle à elle-même, longue et Melvyn attendit longtemps.

             Il fut reçu vers vingt heures, on lui fit monter au premier étage, chaque marche gravie lui paraissait un effort surhumain, ses jambes semblant si lourdes et son cœur battant anormalement vite. Tant et si bien qu’il arriva presque à bout de souffle devant la porte qu’on lui désigna. Peut-être avait-il oublié de respirer lors des derniers pas, il remédia à cela en prenant une grande inspiration, releva les épaules et poussa la porte en bois.

            Il atterrit dans un bureau minuscule de peut-être trois mètres sur trois, dedans y trônait un bureau avec un ordinateur et un bloc-notes. Derrière le bureau, un homme brun, la trentaine, en costume gris, maintes fois recousu à première vue. Cet homme avait le regard dans le vide, à moitié enfoncé dans sa chaise pivotante, tourné vers le mur gauche de la pièce.

            L’homme se rendit compte de l’entrée de Melvyn, pivota dans sa direction et tendit le bras pour lui proposer de s’asseoir. L’employé posa ses coudes sur le bureau, joignit ses mains sous son menton et y mit sa tête en appui, puis il se fendit d’un sourire mainte fois travaillé.

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            « Que puis-je pour vous monsieur ?« 

            « Je viens vous voir pour mon dossier, le blog www.tonvoisinprévient.tr, bafouilla Melvyn en tendant le porte-documents, moi et mes associées n’avons pas compris la décision.« 

            « Elle paraît toujours injuste hein ? Feignit de demander l’homme. Mais au final, nous sommes un des pays développés dont la valeur carbone décroît le plus rapidement.« 

            Alors qu’il ponctuait sa phrase avec un clin d’œil, il se saisit prestement du porte-documents, l’ouvrant à la volée. Il semblait lire les feuilles à une vitesse folle, n’arrêtant son regard que sur les grands titres, il consultait son ordinateur portable en même temps, semblant vérifier Melvyn n’eut su dire quoi, avec la même célérité.

            Soudain, alors qu’il survolait encore les premières feuilles, il fronça les sourcils, tapa quelques lettres sur son clavier et en validant il eut les yeux qui s’arrondirent brusquement, avant de reprendre une expression aussi neutre que possible.

            Puis l’homme au costume gris tourna son regard de nouveau vers Melvyn.

            « L’enquête est correcte, votre blog sera supprimé. » Annonça l’employé.

            « Comment ?! Mais vous n’avez pas tout lu ! » S’indigna Melvyn.

            « Pas besoin, l’ordre est confirmé avec toutes les vérifications faites.« 

            « Mais enfin, pouvez-vous me dire pourquoi ?« 

            « Huuuum, trop polluant, pas assez utile et … je cite trop influençant. » Répondit l’homme du C.I.G.

            Melvyn se recula sur la chaise comme s’il avait pris un coup en plein visage, son esprit hurlait mais son corps encore perturbé, saccada pour revenir à sa position initiale.

            « Pardon ? Qu’est-ce que c’est que ce critère ? Depuis quand jugez-vous cela ? En plus nous sommes neutres et les journaux engagés existent et perdurent ! Car certains sont jugés utiles, je vous rappelle ! » Enragea Melvyn.

            « Inutile de vous énerver, je ne peux rien faire l’ordre vient de plus haut. » Se défendit l’employé.

            « D’en haut ? Vous n’êtes pas habilité à juger les dossiers que l’on vous présente ? Vous allez me dire que votre chef vous dit juste oui ou non ?« 

            « Ne soyez pas ridicule voyons, je n’ai pas un chef, c’est une commission. De plus je ne peux juger les dossiers qu’avec les critères réguliers, le vôtre est hors normes.« 

            « Qu’entendez-vous par là ? » S’étonna le journaliste.

            « Il a été refusé à un autre niveau, l’enquête est formelle. » Se contenta de répondre l’employé.

            « Formelle ? Trop influençantc’est ça ? Soyez honnête ça ne veut rien dire, à part dans une dictature !« 

            « Et voilà, les grands mots, toujours les grands mots, s’exaspéra l’homme, vous n’êtes pas le premier à trouver le C.I.G injuste et oui il est injuste pour certains, mais juste pour le plus grand nombre.« 

            « Ne le remettons pas en question surtout, ironisa Melvyn, Nous sommes moins intelligents que l’omnipotent C.I.G. » Ironisa le journaliste, dépité.

            « Omnipotent … cette discussion ne mènera nulle part. Souffla l’employé, blasé. Faites un recours en plus haut lieu, je vous transmets les coordonnées des personnes à contacter. Débrouillez-vous avec eux et bonne chance pour prouver votre non-influence.« 

            Melvyn était abasourdi, la personne derrière le bureau lui brandissait des arguments vides ou plutôt n’utilisait pas d’arguments. Il affirmait simplement ne pas avoir le pouvoir de décision pour lequel on venait le consulter.

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            Pour Melvyn, il traitait ses dossiers de manière purement mécanique, les critères étant déjà prédéterminés. C’était logique, il ne pouvait pas à lui tout seul décider ce qui était bon pour l’intérêt général ou non. En fait, personne ne le pouvait en étant seul décisionnaire, il fallait forcément plusieurs avis mais les dossiers s’étant multipliés avec le temps, le C.I.G avait dû recourir à ces raccourcis.

            Pour certains c’était devenu une administration comme une autre, qui peinait à s’adapter, pour d’autres c’était le nouveau pouvoir moral, arbitraire. L’intention de départ était bonne et les différentes mesures prises depuis l’étaient aussi pour la plupart.

            En fait d’un point de vue extérieur, le C.I.G. faisait énormément pour la société, mais pour la liberté de l’individu cela était contraignant. Melvyn se sentait traité injustement par cette organisation qui avait fait tellement et protégeait encore l’humanité, dans sa précaire condition.

            Pourtant Melvyn se sentait juste floué et à cet instant il avait un peu de mal à prendre du recul, à voir l’image globale.

             Et puis il y avait le prêtre, certes un site retiré d’internet c’était de la pollution en moins, mais la raison était-elle vraiment là ?

            Sinon il suffisait de ne laisser en ligne que les sites d’État et supprimer tout le reste.

            Ou peut-être gardaient-ils quand même des sites de particuliers, pour entretenir un vernis de liberté ?

            Toutes ces idées traversèrent la tête de Melvyn qui refusait tout simplement que l’on juge SON site, comme dispensable.

            Alors qu’il cogitait son corps restait simplement figé sur la chaise. L’homme au costume gris l’appelait mais Melvyn ne semblait pas entendre, alors l’employé claqua des doigts devant le visage de Melvyn qui revint à lui.

            « Monsieur il faut y aller, j’ai d’autres rendez-vous. J’ai noté les coordonnées du bureau supérieur sur votre dossier. Libre à vous de gaspiller votre forfait à les appeler, ça finira probablement de la même manière.« 

            « Euh d’accord, bredouilla Melvyn encore absent, merci j’imagine.« 

            Il quitta le bureau d’un pas hésitant, il aurait voulu s’énerver, s’indigner plus que cela mais son dossier n’avait même pas été proprement examiné. On lui avait jeté un non catégorique à la figure, on lui refusait de mettre en doute la décision d’un organisme qui représentait l’intérêt général, donc celui de Melvyn et de tous ses lecteurs compris. Mais on ne venait pas juste de lui dire ‘non, trouvez un moyen de faire mieux’, on venait de lui dire ‘non, ce que vous faites n’a aucun intérêt car nous l’avons décidé’. 

            C’était la manière de fonctionner du C.I.G, l’organisme avait été créé dans ce but. La plupart s’en contentaient voire s’en réjouissaient, en revanche tous ceux qui subissaient cette rigueur se retrouvaient un jour, comme Melvyn, devant un refus qu’ils estimaient injuste.

            Il redescendit l’escalier, il se sentait vidé de son énergie, il s’était préparé à débattre pas à se heurter à un mur de refus. Il allait faire ce recours, bien qu’il ne sache pas ce qu’il pouvait présenter de plus. Peut-être que le bureau supérieur lui expliquerait la fameuse clause ‘trop influençant’, à ce moment-là il saurait sur quel pied danser.

            Il reprit ses esprits et se dirigea vers la sortie, en sortant du bâtiment il s’adossa au mur de lierre et de vigne vierge, machinalement il sortit une barrette-à-mâcher et commença à ruminer.

            En temps normal il aurait fini par accepter cette décision. Il savait que le C.I.G pouvait paraître injuste mais qu’il avait aussi fait tellement de bien au pays. Que, même si parfois il y avait des dommages collatéraux injustifiés, le bien-être général était plus important. Mais aujourd’hui pour son cas, il y avait le père Clément, l’anomalie dans la machine, le rouage en trop. Que ce soit par fierté, par soif de justice ou par orgueil, il ne voulait pas perdre si facilement, il voulait au moins tenter une riposte.

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            Mais d’abord il lui fallait plus d’informations sur ce fameux prêtre, il ne connaissait que son prénom si toutefois il s’agissait du vrai.

            Peu expert dans le domaine, il lui fallait quelqu’un dans le réseau clérical, il pensa tout de suite au père Jean de Trets, mais vu Melvyn était à Aix autant en profiter.

            Il se dirigea d’un pas déterminé vers la cathédrale Saint-Sauveur, porte-documents sous le bras et barrette en bouche. 21H approchait, les églises étaient ouvertes jusqu’à tard, il ne se faisait pas de soucis.

            Après quelques minutes de marche il fut en face de la grande porte de la cathédrale. Se tenant raide comme un i, le regard dans le vague, ‘dans quoi je me lance ?’ pensa-t-il. Le mince flot de personnes allant et venant dans la rue s’épaississait peu à peu, la plupart des travailleurs finissaient leur service. Rentrer chez soi ou à pied était une pratique courante, vu qu’aucune voiture ne passait par là, les navettes étant interdites dans les rues du centre-ville.

             Melvyn pénétra dans la cathédrale et se retrouva dans la grande salle, quelques personnes seulement se trouvaient là. Il chercha quelqu’un habillé pour les ordres, balayant du regard la grande pièce il ne vit personne qui correspondait dans un premier temps, les grandes colonnes de ce genre de lieu bloquaient souvent le regard.

             Il se mit à parcourir la grande salle de long en large, le bruit de ses pas résonnant dans cet immense espace, l’écho ainsi créé le força inconsciemment à ralentir son pas. Dans un tel lieu de quiétude cette simple petite perturbation était malvenue, le caractère sacré du lieu, la pression sociale et le respect d’autrui forçait les gens sensibles à respecter le calme du sanctuaire. C’est ce que pensait Melvyn, se rendant compte qu’il pouvait déranger les quelques personnes assises sur les bancs, en train de prier.

            Il fut soulagé lorsqu’il aperçut le prêtre dans un coin de la cathédrale s’adressant à un duo de personnes, ils chuchotaient si bas qu’à cette distance il n’entendait rien. Arrêtant d’arpenter le bâtiment il se positionna à quelques mètres, suffisamment loin pour ne pas déranger et suffisamment prêt pour être repéré par le prêtre.

            C’était cependant délicat, l’homme n’était pas un vendeur qui cherchait à aller vers le client pour savoir s’il avait besoin d’aide. Pourtant les prêtres étaient souvent d’une grande aide morale à leurs paroissiens, Melvyn n’était ni un client ni un paroissien, il ne se sentait donc pas le droit d’importuner cette personne, pour un problème aussi égoïste…

            Il se sentait comme un imposteur, incertain de la posture à avoir, il se figea et attendit patiemment, rendant à chaque regard qu’on lui lançait un sourire gêné. De plus la discussion semblait s’éterniser avec le duo de personnes, deux jeunes femmes, qui bien que de dos, semblaient investies dans leur discussion. Elles faisaient de grands gestes, alors que le prêtre était bien plus mesuré dans ces mouvements.

            Il détourna le regard ne voulant pas être intrusif. Il se força tout de même, de temps en temps, à manifester sa présence pour que le prêtre, qui l’avait remarqué, ne l’oublie pas. Quelle étrange situation que celle-ci, songeait Melvyn, il était journaliste, déranger les gens était une partie du métier non négligeable.

            Pourtant il avait l’impression de redevenir timide, alors que le blog était censuré depuis un jour seulement, comme si on lui avait retiré sa capacité à aller demander.

            Et pourtant, sa cause, il y tenait plus que d’ordinaire, il n’aurait su dire pourquoi défendre son intérêt semblait plus dur que de fouiner pour informer les autres.

            Une fois que le prêtre eut fini de discuter avec les deux jeunes filles, qui s’en allèrent visiblement satisfaites, Melvyn fit un pas en avant. Le prêtre fit un sourire en direction de Melvyn lui signifiant qu’il avait compris le manège et lui fit un signe de main, pour l’enjoindre à le suivre.

            Alors Melvyn le rattrapa au petit trot, tandis qu’il se mettait à parcourir la cathédrale visiblement pour allumer bougies et préparer toutes sortes d’objets.

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            « Que puis-je pour vous mon fils ? » S’enquit l’homme d’Église.

            « Bonjour mon père je ne vous dérange pas ? vous préparez un office ? » S’excusa Melvyn.

            « Pas tout à fait, mais pour demain et après-demain ce sera ça de moins à faire.« 

            « Eh bien en fait mon père, je viens vous demander si vous connaissez un certain père Clément ? Je ne sais pas plus que son nom.« 

            « J’en connais au moins deux, comment est-il le vôtre ? » Demanda le prêtre.

            Melvyn se mit à le décrire assez précisément, car il revoyait clairement la scène dans les champs, où l’homme l’avait menacé.

            « Oui bien sûr père Clément. Il est de la paroisse de Manosque, un homme charmant, très rigoureux. » Conclut le prêtre.

            Melvyn retint surtout rigoureux car le côté charmant il n’avait pas eu l’occasion de le voir.          Le constat était clair, Melvyn n’avait pas rêvé cet homme existait bel et bien. Manosque n’était pas la ville d’à côté, si l’on prenait Trets comme point de départ, Melvyn s’en étonna, Il s’imaginait que le père Clément venait de plus près.

            « Et peut-on espérer savoir en quoi vous avez besoin de père Clément ? » L’interrogea l’homme d’Église.

            « Oh il a simplement dit quelque chose qui m’a marqué, mais impossible de le retrouver. » Répondit le journaliste, omettant volontairement une partie de la vérité.

            « Et où l’avez-vous croisé ?« 

            « Dans les rues de Trets.« 

            Le prêtre eut l’air surpris, il resta pensif quelques instants.

            « Étrange, c’est bien loin de sa paroisse, il officie à l’église Saint-Sauveur de Manosque, c’est facile de m’en rappeler, notre chère cathédrale porte le même nom.« 

            Il appuya son allégation en balayant la salle de la main.

            « Je suis d’accord avec vous, mon père, cela fait bien loin de nos jours…« 

            « Dans quel contexte l’avez-vous rencontré ? » Questionna l’homme d’Église.

            « Pardon ?« 

            Melvyn était ailleurs, il n’avait pas pensé au fait que le prêtre pourrait le questionner, il se devait de dire quelque chose, mais rien ne lui vint.

            « Vous allez bien mon fils ? » S’inquiéta le prêtre.

            « Euh oui tout va bien, merci mon père. » Bafouilla-t-il.

            Le journaliste s’en alla sans demander son reste, contrairement au prêtre qui resta sur sa faim et avec sa question sans réponse.

            Décidément la roublardise de Melvyn s’était envolée avec son blog. Il s’éclipsa rapidement disparaissant derrière les colonnes de la cathédrale, le prêtre se contenta de hausser les épaules et de continuer son tour. Une fois à l’extérieur de la cathédrale, Melvyn prit la direction du bus.

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