Chapitre 15
Léna et Jade se rendaient en bus à la Ciotat, elles avaient reçu une piste sur un couple de retraités qui voulaient leur parler, c’était intéressant pour le dossier leur avait-on affirmé, mais elles n’en savaient guère plus. Ce déplacement était exceptionnel en 2056, on dépassait rarement les 30 minutes de trajet, cependant le flair du journaliste, cette petite intuition bien spécifique, avait résonné en elles.
Tout juste descendues du bus, elles sentirent le vent frais les frapper de plein fouet. Ajustant leurs manteaux, elles s’engouffrèrent dans les petites ruelles perpendiculaires, espérant échapper au souffle de l’assaillant pour un temps. Elles suivirent leur GPS pour trouver la résidence du vieux couple.
C’était très accueillant de leur part de les recevoir à domicile, bien souvent les interviews avaient lieu dans des cafés. Les gens ayant couramment du mal à recevoir des inconnus chez eux, à la nuit tombée.
Il était 18h et le soleil commençait à plonger à l’horizon, elles ne s’en rendirent que très peu compte avec la canopée urbaine, bien dégarnie de ses feuilles certes, qui barrait tout de même le passage à quelques rayons de lumière.
Elles se rendaient près du port, un de ces ports qui était passé de la catégorie plaisance à port de pêche semi-professionnel.
En effet, les petits bateaux qui pouvaient naviguer à la voile et avec leurs petits moteurs électriques, avaient longtemps été encouragés à reprendre la pêche en petite quantité. Des quotas avaient été fixés, des licences distribuées et des petites escadres furent formées, chaque ville côtière se dota peu à peu de plaisanciers et pêcheurs qui alimentaient les marchés avec leurs prises. Au début cela créa des tensions et de rudes concurrences, mais une fois que les quotas furent bien réglés et les pratiques correctement transmises et encadrées, les rivalités s’aplanirent d’elles même.
En fait on se rendit même compte que toute la marchandise finissait par partir, qu’il y avait même très souvent une demande plus forte que l’offre. Encore une fois le C.I.G avait été inflexible, il fallait laisser la vie marine se régénérer, dorénavant les gens mangeaient tout simplement moins de poisson.
Elles arrivèrent en vue de la maison des Baudry, un beau pavillon en bord de mer légèrement défraîchit par le temps et les embruns. Elles firent retentir la petite cloche à l’entrée du portail, une voisine passa la tête par la fenêtre, puis se rendant compte de son erreur leur fit un grand sourire, salua les filles et retourna à ses occupations. Une situation commune depuis le retour massif des cloches et le remplacement progressif des sonnettes.
Une dame, ayant la soixantaine, ouvrit la porte et se présenta comme madame Baudry, elle invita les deux femmes a entré, elle avait un sourire très accueillant, elle leur demanda de quitter leurs chaussures et de mettre les patins. À première vue un grand soin était apporté à la maison, l’intérieur était richement décoré d’objets venant des quatre coins du monde, des boiseries à n’en plus finir et pas une l’ombre d’un grain de poussière.
Madame Baudry s’excusa du bazar qu’elle et son mari avaient laissé traîner, les filles se rendirent compte que c’était un bazar très imaginaire. Elles apprirent que les Baudry revenaient de vacances, leur hôte les mena dans un petit couloir qui déboucha sur un salon en forme de demi-cercle, la pièce était munie de grandes baies vitrées donnants sur la plage et la mer. Bien que ce fut au rez-de chaussée, la maison était largement surélevée et l’on voyait bien la Méditerranée depuis cet endroit.
Monsieur Baudry les attendait confortablement installé dans son canapé, où sa femme vint le rejoindre, il se leva pour saluer les demoiselles et le couple leur indiqua les chaises où elles prirent place.
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« Désolé, commença M. Baudry, on n’entend pas la mer, avec cette température j’ai dû fermer les baies vitrées.«
« Ce sera parfait pour l’enregistrement, sourit Léna, et puis nous pourrons peut-être aller y faire un tour après.«
« Une vraie femme de la côte, s’exclama Mme Baudry, je vous envie, personnellement je ne résiste plus à cette fraîcheur hivernale.«
Quelques banalités furent échangées pour briser la glace, quelques compliments sur la décoration qui plaisait beaucoup à Léna, s’ensuivait les réponses du vieux pêcheur, qui avait ramené ces objets grâce à ses nombreux voyages à la voile. Petit à petit la conversation s’essouffla, ce fut monsieur Baudry qui relança la conversation.
« Si nous en venions au fait, j’ai cru comprendre que vous pourriez nous aider. » Proposa le retraité.
« Alors, répondit Jade, justement on ne nous a pas tant informer sur le problème, mais je serais ravie de vous être utile.«
« On nous a dit que vous militiez pour l’enterrement en vraie terre. » Précisa Mme Baudry.
« C’est vrai, ajouta Léna, nous cherchons à collecter un maximum d’informations sur le sujet.«
Eh bien écoutez, reprit m. Baudry, je pense que cela va élargir les horizons car nous avons une problématique similaire. Voyez-vous j’ai passé toute ma vie en mer, je ne me vois pas vivre loin du bruit du ressac et ne pas sentir les embruns de bon matin, aussi je ne me vois pas finir mes jours ailleurs qu’ici.«
« Ce que mon mari essaie de vous dire, c’est qu’il aimerait être immergé en mer. » Conclut Mme Baudry
Les deux femmes hochèrent la tête, effectivement cela les intéressait.
« Et on vous le refuse ? » S’enquit Léna.
« Si j’étais mort en mer pendant que j’y travaillais, on m’aurait peut-être passé par-dessus bord pour éviter les risques sanitaires. Mais maintenant c’est l’inverse, je voudrais que mon cadavre monte à bord d’un bateau pour qu’on le jette au large et les consignes sanitaires étant ce qu’elles sont, la réticence morale des gens aussi, je fais face à une solide opposition. » Argumenta M Baudry.
« Il me semblait, argumenta Jade, que des rites mortuaires de la sorte étaient pratiqués.«
« C’est en théorie vrai mais les procédures administratives sont quasiment impossibles à remplir. Si aujourd’hui vous n’êtes pas marin en service, il vous faut presque monter une société pour avoir le droit à ce privilège. » Se plaignit le retraité.
« Il faut remplir des conditions aberrantes, continua Mme Baudry, comme utiliser un type de linceul biodégradable, des poids lestés spécifiques pour ne pas endommager la faune et flore sous-marine. Il faut aussi réquisitionner un bateau spécifiquement pour ça mais il faut qu’il ait une certaine dimension pour garder le corps à l’écart des vivants. Il faut se rendre à une certaine distance des côtes et aucun capitaine de navire n’accepte de faire un voyage à vide pour cela, car il est impossible de revenir en ayant pêché, la cargaison pourrait être souillée. En somme il faudrait faire des voyages groupés pour immerger plusieurs personnes en même temps, des croisières funéraires ! Les capitaines du coin n’ont pas de bateaux assez grands ou ne souhaitent pas le faire, quant à ceux qui le peuvent, ils pratiquent des tarifs exorbitants.«
« Après c’est aussi une bonne chose, ça donne envie de rester en vie, éclata de rire M. Baudry, juste pour s’éviter toute la paperasse !«
Les deux femmes eurent un petit sourire face à la réaction du personnage, effectivement ils se trouvaient dans une situation complexe, mais la bonne santé visible des deux retraités laissait à penser que ce n’était pas un souci urgent.
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La société avait beau avoir fait de sacrés progrès, la mort restait toujours aussi taboue, complexe et prétendument contrôlable, repoussable à l’envie.
On pensait qu’avec la médecine de pointe il était possible de venir à bout de toute affliction, certains pensaient même pouvoir devenir immortels, par tout un tas de moyens technologiques divers et variés. Bien que ce mouvement de pensées eût perdu de la vitesse, il restait quelques fanatiques accrochés à cette idée.
Aujourd’hui la plupart des gens acceptaient la mort, elle finirait par leur arriver, pourquoi l’organisation de la loi et de la société ne s’adaptait pas à cela, difficile à dire. Un tas de règles anciennes et nouvelles semblaient s’empiler les unes sur les autres, pour garantir une façon de faire, une certaine sécurité sanitaire. On privilégiait tellement ces lois rigides que parfois le bon sens et la solution juste, ne pouvaient être pratiqués sans être illégaux.
« Ça rentre parfaitement dans notre thématique, précisa Léna, il ne faut pas oublier que l’enterrement en vraie terre est un rite mortuaire régénérateur. Vous êtes tout à fait en droit de demander à être utile à la mer que vous chérissez.«
« Vous savez j’en ai parcouru beaucoup, expliqua M Baudry en regardant la mer, mais celle-ci a toujours été ma préférée, ma belle azuréenne, mon port d’attache.«
Il finit sa phrase en enserrant sa compagne tout en lui déposant un baiser sur la joue, faisant comprendre à ses invitées que son attache n’était pas seulement liée à la mer.
« Très bien monsieur et madame Baudry, déclara Jade, nous allons essayer d’avoir gain de cause pour vous aussi, pour cela, nous allons continuer l’enregistrement et développer un peu l’interview, si vous le voulez bien.«
« Bien sûr, je suis prêt à répondre à vos questions. » Répondit M. Baudry, fermement assuré.
« Nous allons parler de votre parcours, de votre vie. Plus les gens pourront s’identifier, comprendre ce que vous ressentez et pourquoi vous le faites, plus ils voudront soutenir cette belle idée, que l’on laisse les gens finirent paisiblement leur existence où ils s’y sentent le mieux. Bien sûr le montage de cet interview sera plus court mais nous vous enverront la version arrangée, pour avoir votre avis, avant de l’intégrer au documentaire, cela vous convient-il ? » Demanda Jade
« Parfaitement. » Acquiesça M. Baudry.
« Alors c’est parti. » Affirmèrent les journalistes.
Léna réajusta le micro qu’elles avaient préalablement posé sur la table basse. Tout en prenant des notes le plus discrètement possible, les deux femmes posaient tour à tour des questions pour alimenter l’interview. Il était clair que Mme Baudry faisait partie intégrante du récit, elle ajoutait ses propres anecdotes et précisions dans l’histoire de son mari.
Il avait été un grand voyageur, il avait passé toute sa vie près de la mer et ce depuis son enfance, où il y faisait de la planche à voile. Très tôt, il avait embarqué sur les gros cargos pour faire le tour du monde et il commença sa collection d’objets exotiques. La vie y était rude, les tempêtes en mer ne s’arrangeant pas avec le climat détraqué par le réchauffement climatique. Lorsque le parc nautique mondial amorça progressivement son retour à la voile, il ne fut pas parmi les premiers à embarquer sur les voiliers de nouvelle génération.
Il n’y était pas vraiment réticent mais les performances laissaient à désirer, les énormes cargos résistaient mieux aux tempêtes de plus en plus violentes et nombreuses. Puis il rencontra sa femme, ici, dans la région de son enfance, tombant éperdument amoureux, il eut de plus en plus de mal à partir loin, ou du moins, à partir sans elle. Comme elle le précisa, elle n’était pas dans la profession maritime mais géologue et mis à part sur quelques rares projets à l’étranger, ils ne voyageaient ensemble qu’en vacances. Alors il décida de partir de moins en moins loin et il finit par devenir pêcheur sur ces fameux voiliers nouvelle génération.
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Quittant de plus en plus rarement la mer Méditerranée, il expérimenta une vie plus stable, plus calme et il était plus souvent chez lui. Chaque jour il avait droit à sa dose d’embruns et d’eau salée qui lui était si chère. Il affirma avec un grand rire, que son corps en était devenu si dépendant, si imprégné, qu’il ne salait même plus ses aliments.
Le temps passa et il finit par prendre sa retraite, le métier étant dur il arrêta à 55 ans. La pénibilité d’un travail physique était complètement et exhaustivement prise en compte, depuis une décennie seulement, lorsque la retraite lui fut accordée.
Certes il était moins fringant mais toujours autant accro à la mer, aussi acheta-t-il un bateau avec ses économies et il se mit à la pêche à son compte, avec des quantités raisonnables pour ne pas se tuer à la tâche.
Aussi loin qu’il remontait dans sa mémoire, n’importe lequel de ses souvenirs était lié à la mer d’une façon ou d’une autre, il voulait à son tour pouvoir un jour devenir un souvenir de la mer.
« C’est une belle façon de voir les choses, soutint Léna, on voit à quel point la mer vous inspire.«
« Oh bon sang, paniqua Mme Baudry, on parle, on parle mais je n’avais pas vu l’heure, comment êtes-vous venues ?«
« En bus, répondit Jade en regardant sa montre, oups effectivement nous allons devoir y aller, si nous ne voulons pas rater le dernier. De toutes façons je crois que nous avons assez de matière pour faire un bel interview, tenez voilà mon téléphone et mon adresse mail, elle tendit une carte de visite, comme ça nous n’aurons plus à passer par notre connaissance commune, n’oubliez pas de m’envoyer un message.«
« J’ai mieux, il tendit un petit papier, mes coordonnées aussi, comme ça on double la sécurité.«
Le couple raccompagna leurs invitées à la porte, leur souhaitant bonne continuation ils leur dirent au revoir sur le palier. Les deux journalistes à nouveau au travail, arpentèrent le chemin qu’elles avaient emprunté tantôt mais en sens inverse. Alors qu’elles se déplaçaient dans la nuit noire à la lumière des rares lampadaires qui éclairaient faiblement les rues, leurs sourires s’illuminèrent, le dossier avançait et c’était grisant.
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Chapitre 16
C’était un beau samedi matin, le temps était doux et pas de nuages à l’horizon, au vu de la température on aurait même pu se croire en début avril, pourtant le calendrier affichait bien le 12 février. Melvyn et Léna arrivaient devant un grand portail en fer forgé, immense, il semblait avoir été rénové quelques années auparavant et apparemment il avait été adapté pour être électrique, bien que son style semblât très ancien, il s’ouvrit peu après qu’ils eurent appuyé sur la sonnette.
Il n’y avait apparemment pas de cloche ici, ils se mirent en route. Le chemin en graviers était si bien entretenu, qu’il leur parut qu’aucun caillou ne soit en dehors des bordures qui le délimitait. À quelques dizaines de mètres, voire une centaine, ils distinguaient le grand manoir des DeMarny.
C’était une bâtisse très haute et large, avec un nombre ahurissant de fenêtres, le chemin était maintenant bordé par d’immenses platanes qui dévoilaient derrière eux un non moins immense jardin, aux mille couleurs et senteurs. Lorsqu’ils furent arrivés dans la cour au pied de la bâtisse, ils virent une femme avec un long manteau de haute couture arriver vers eux, le visage rayonnant.
« Madame, Monsieur ! Par ici je vous en prie. » Dit-elle tout en se dirigeant vers eux.
« Madame DeMarny, je présume ? » Osa Melvyn.
« Tout à fait ! Ravie de vous rencontrer, elle leur serra énergiquement la main, venez entrez je vous prie, il fait un de ces froid, dehors !«
Melvyn et Léna échangèrent un regard étonné, trouvant que la température était des plus supportable, puis haussèrent les épaules. Ils purent remarquer que sous un préau reposaient deux voitures dont une limousine, il n’y avait sur aucun des toits visibles de la bâtisse, tout comme des dépendances, le moindre panneau solaire. Tout comme aucune éolienne ne semblait gazouiller au vent dans le jardin, peut-être une de ces fameuses accros aux énergies non-renouvelable.
Mais madame DeMarny semblait avoir l’œil et nota leur interrogation.
« Oh oui je sais ce que vous pensez, je n’ai pas de panneaux solaires ni d’éoliennes, alors que j’en ai la place. Mais je trouve cela tellement moche, pas sur ma propriété non merci ! Je finance des centrales solaires et éoliennes, bien plus que ce que je ne consomme d’électricité. Et en ce qui concerne les voitures et bien je ne les sors pas beaucoup, mais vous ne me convaincrez pas de m’en séparer ! » Affirma-t-elle en riant.
« Ce n’est pas du tout dans notre intention madame. » Clarifia Melvyn.
« Nous ne venons pas pour juger mais simplement vous écouter. » Ajouta Léna.
« En ce cas très bien, je crois bien avoir quelque chose à vous raconter. » Conclut-elle.
Ils débouchèrent dans un salon surdimensionné, avec des fauteuils et canapés à ne plus savoir qu’en faire, on pouvait facilement s’asseoir à cent dans cette pièce, qui avait la taille d’une petite maison. De Marny retira son manteau et prit place dans un luxueux fauteuil en cuir, elle désigna ensuite le canapé en face pour que les reporters y prennent place. Elle appela un certain Mickaël et un majordome, tiré à quatre épingles, ayant la trentaine, apparut presque instantanément dans la pièce. Elle lui demanda d’amener des rafraîchissements et précisa vouloir un cocktail apparemment très sophistiqué, Léna et Melvyn un peu désorientés, se contentèrent de demander un thé. Mme DeMarny précisa que Mickaël faisait le meilleur thé glacé de France, aussi se laissèrent-tils tentés. Une fois que les mondanités furent échangées, Mme DeMarny attaqua le vif du sujet.
« Donc on m’a dit que vous cherchiez des informations sur l’enterrement en vraie terre. » Entama la propriétaire des lieux.
« Oui, d’ailleurs madame permettez-moi de vous demander, intervint Melvyn, comment avez-vous entendu parler de nous ? Qui vous a donner notre adresse mail ?«
« Le C.I.G. » Annonça-t-elle calmement.
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La nouvelle laissa les deux journalistes sans voix, évidemment ils n’étaient pas si discrets puisqu’ils posaient des questions à droite à gauche, alors qu’ils se savaient très bien être sous surveillance. Pourtant jusqu’ici le C.I.G n’était pas intervenu, en effet ils avaient le droit de passer leur temps libre à parler avec qui il voulait. Monter ce documentaire n’était peut-être pas si simple finalement, Mme DeMarny interrompit leurs réflexions silencieuses.
« Ne vous inquiétez pas, certes le C.I.G en a après vous, il en a marre mais il ne peut rien faire tant que vous ne publiez rien. Ce sont mes contacts qui m’ont informé et ceci pour une raison bien précise, j’en ai ma claque du C.I.G. » Affirma DeMarny
Ne sachant toujours pas quoi dire, le silence des deux invités se maintint.
« Toujours à me dire que je ne fais pas assez pour l’écologie et la société, alors que je les finance vos centrales bon sang ! Qu’ils me laissent tranquille avec mes précieuses voitures et là où je place mon argent. » S’énerva leur hôte.
Apparemment oui, cette DeMarny était bel et bien une aristocrate de la vieille école du pétrole. Certains secteurs ne s’en étaient toujours pas affranchis et la modification des systèmes existants engendraient des chantiers juteux, mais les deux journalistes se demandaient bien ce qu’elle pouvait leur apporter comme information, l’écologie ne semblait pas être son fort.
« Alors, je me suis dit si je peux leur faire un petit pied-de-nez, je ne vais pas m’en priver. » Continua DeMarny
Voyant qu’il s’agissait d’une revanche personnelle, les deux amis se mirent à penser qu’elle n’était peut-être pas particulièrement intéressée par la cause, cela piqua au vif leur curiosité. Le majordome revint avec le cocktail et les deux thés glacés, dès la première gorgée ils surent qu’effectivement Mickaël savait s’y prendre, ils prononcèrent de sincères compliments en remerciement.
« Je vous l’avais bien dit, Mickaël est le meilleur. Où en étions-nous ? Ah oui, je vais vous pointer du doigt une épine dans les arguments du C.I.G. Ils prétendent que l’enterrement en vraie terre n’est pas gérable, mais c’est un argument de l’Église qui veut garder le contrôle. Connaissez-vous le nombre de caveaux familiaux qui existent à travers la France ? Ma famille en a un aussi, sur cette propriété même. Il suffit d’être riche et d’avoir les bons contacts parmi l’Église et une parcelle de votre terrain se retrouve facilement consacrée. » Raconta DeMarny.
« C’est en effet un argument intéressant madame, la remercia Léna, en revanche cela se passe de manière traditionnelle non ? Dans un cercueil.«
« Oh très chère si vous saviez, une fois que vous avez les grâces de l’Église et pour peu que vous les conserviez, vous seriez surprise de voir à quel point ils peuvent détourner les yeux. » Déclara la propriétaire du manoir.
« Mais encore ? » Melvyn l’enjoignit à continuer.
« Oh je ne vous parle pas de blasphème, de satanisme ou d’acte immoral, mais d’une souplesse assez remarquable. Venez avec moi, l’exemple sera plus parlant. » Précisa-t-elle.
Sans leur laisser le temps de réfléchir, elle se leva d’un bond et se dirigea vers la porte d’entrée, prenant rapidement leur matériel d’enregistrement, les deux reporters lui emboitèrent le pas. Elle se déplaçait rapidement à travers le jardin, si énergique que ses deux suivants avaient du mal à garder le rythme, en parcourant ce jardin si florissant qu’ils ne connaissaient pas.
Ils avaient marché deux cents mètres en slalomant entre les arbres et parterres de fleurs, cet endroit devait être magnifique au printemps pensèrent-ils, mais l’hiver avait pris son dû et les feuilles se faisaient rares.
Un bâtiment se dévoila sur la gauche du chemin, à quelques dizaines de mètres, DeMarny le pointa du doigt sans regarder, tout en marchant elle s’écria.
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« Voilà le caveau familial, on y enterre presque tous les membres de la famille, exceptés ceux qui le refusent, s’éloignent de la famille et ceux dont le corps est manquant.«
Elle continua son chemin, sans y prêter plus d’attention, les deux journalistes étaient dubitatifs, pourquoi ne pas se diriger vers le caveau pour illustrer ses propos de tantôt. Au détour d’un chemin elle s’arrêta brusquement et se plaça devant un arbre sans mot dire.
« Madame ? » Risqua Melvyn.
« Vous voilà devant la sépulture de mon grand-oncle, Hubert DeMarny. » Annonça-t-elle avec respect.
Il n’y avait là ni croix, ni terre retournée, ni couronnes de fleurs, ni photos. Ils étaient curieux d’en savoir plus mais ne voulaient pas bousculer leur interlocutrice, ce n’en fut d’ailleurs pas la peine, elle aimait monologuer et se mit à le faire sans incitation aucune. Elle faisait de grands gestes en parlant et aimait bien rajouter un côté théâtral à son récit.
« Mon grand-oncle était un passionné, ce jardin était toute sa vie, il y a travaillé depuis tout petit jusqu’à ses derniers jours. Pour quelqu’un d’extérieur à la famille il paraissait être le jardinier, voire un domestique, étant donné qu’il ne se mêlait pas à nos mondanités. J’ai un souvenir agréable de lui, il trouvait toujours un fruit, une plante à déguster sur l’instant, pour les enfants de la famille. Il était intarissable sur ses connaissances botaniques et on aimait bien l’écouter, mes petits-cousins et moi, surtout parce qu’il était d’une grande douceur et d’un calme absolu. Sa seule requête était de vivre au milieu de son jardin.«
Elle marqua un temps de pause, regardant l’arbre qui devait avoir une quarantaine d’années au vu de sa taille, un magnifique saule pleureur qui jouxtait une petite mare.
« Et quand il est tombé malade, ses frères et sœurs ont convenu qu’il devrait finir enterré dans son jardin d’Eden. J’aimerais vous dire qu’ils ont lutté bec et ongles pour obtenir gain de cause, mais la vérité est bien plus simple. Mon grand-père connaissait bien l’évêque de la région, ils ont eu une petite discussion et après cela la cérémonie fut dirigée en deux temps, un prêtre a donné les derniers sacrements devant le caveau familial, puis il s’est retiré et les hommes des pompes funèbres ont emmené le corps dans le trou creusé exprès. Cette sépulture était peu profonde, ils l’ont rebouchée facilement, puis le fils de mon grand-oncle a planté le petit arbuste qui est devenu le magnifique saule que vous voyez. » Conta DeMarny.
« Ce saule a l’air grand, si ce n’est pas indiscret quand a-t-il été planté ? » Interrogea Melvyn
« L’arbuste devait avoir 2 ans tout au plus et il a été planté il y a 36 ans, en 2020. Mon Grand-oncle était l’aîné de mon grand-père et il n’est pas mort très vieux, il avait la soixantaine. » Précisa-t-elle.
« Donc avant la mise en place du C.I.G. » Ajouta Léna.
« Oui mais vous savez les principes restent les mêmes, certes les membres du C.I.G sont plutôt des inflexibles mais avec le bon réseau, vous pouvez aller n’importe où. » Affirma DeMarny.
Ce n’était pas très rassurant à vrai dire, cet enterrement en vraie terre était plutôt du genre illicite, l’exception qui confirme la règle, cependant ils pourraient quand même certainement s’en servir. Après tout le but des reportages était de pointer ce qui n’allait pas, ce qui pouvait changer. Les gens avaient recours au copinage, aux pot-de-vin pour arriver à leurs fins ce serait bien mieux, pensèrent-ils, si tout cela devenait légal dans un cadre bien réglementé, comme l’avait finalement été les drogues thérapeutiques, tel le cannabis. Les abus existaient encore certes mais les trafics avaient diminué, bien que toujours présents car le côté thérapeutique régulé, était parfois moins intéressant que le côté récréatif obtenu par une consommation excessive, pour certaines personnes.
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« Pouvez-vous nous en dire plus sur le réseau de votre grand-père et accepteriez-vous de le faire enregistrer. » Demanda Melvyn.
« Non je ne parlerai pas plus de mon grand-père, qu’il repose en paix, mais j’ai beaucoup d’anecdotes sur le C.I.G qui pourrait vous intéresser. » Répondit-elle.
Ils acceptèrent d’écouter, ils étaient venus pour cela, mais à part cet histoire d’enterrement, il semblait qu’elle tenait grief au C.I.G pour de mesquines affaires personnelles. Elle leur parut être une sacrée têtue et voulait faire ce qui lui plaisait, au diable l’écologie, elle payait suffisamment de taxes comme cela non ? Elle semblait si bien leur tenir rancune, que Melvyn et Léna étaient dorénavant presque sûrs, que ce n’était pas un piège monté par le C.I.G. C’était bel et bien un règlement de comptes et elle voulait se servir des journalistes, comme d’une nouvelle pièce dans son arsenal de bataille.
Les deux journalistes ne refusaient pas l’idée, ils prenaient les informations et s’en serviraient du mieux possible. Cette petite guerre mesquine ne les intéressait pas, récolter des arguments supplémentaires si. À bien y réfléchir, ces arguments étaient plutôt tournés contre l’Église, mais la masse de passe-droits délivrés au cours du temps montrerait le côté politique de l’autorisation ou interdiction, de rites mortuaires privés, cela ne pouvait que servir.
Une fois qu’ils considérèrent avoir suffisamment d’informations, ils se rendirent compte que le couvre-feu diurne approchait, DeMarny râla de plus belle contre cette mesure qu’elle trouvait liberticide. Elle affirma pouvoir profiter de la vie, quand bien même il ferait un peu chaud. Abrégeant diplomatiquement les au revoir du mieux qu’ils purent, Melvyn et Léna s’éclipsèrent en vitesse, regagnant le chemin de leur maison avec une pièce de plus au dossier.
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