Les racines de l’hiver – le poids de nos ancêtres (partie 1) chapitres 17 et 18

Chapitre 17

            Jade se trouvait devant le crématorium, elle était mal à l’aise car elle se trouvait juste à côté d’une famille endeuillée. Plusieurs fois déjà on était venu lui demander d’où elle connaissait la défunte, leur répondant maladroitement les premières fois, elle ne sut se justifier pour sa présence.     Alors elle s’éloigna et se mit sur le côté pour attendre, elle devait simplement rencontrer un employé de ce crématorium. Aussi lorsque la foule se dispersa, elle se replaça devant la porte et attendit que les employés aient fini de saluer la famille.

            Lorsqu’ils s’apprêtaient à rentrer dans le bâtiment, les employés, notèrent la présence de Jade, deux d’entre eux lui demandèrent la raison de son attente, elle répondit qu’elle cherchait un dénommé Jérôme Chandonnet. Un troisième homme, avec des cheveux mi-longs et sa barbe taillée au poil près, répondit présent, il la salua et l’invita à entrer dans une pièce du crématorium, une antichambre de l’accueil.

            « Merci monsieur Chandonnet, pour votre accueil et votre disponibilité. » Le remercia Jade.

            « Mais avec plaisir madame, ce n’est pas souvent que des gens veulent échanger sur notre profession, encore moins un samedi. » S’amusa Jérôme.

            « C’est vrai que l’on éprouve un grand respect pour votre profession, mais aussi une sorte de crainte. Il faut croire que la mort fait toujours aussi peur. » Entama la journaliste.

            « C’est bien vrai, mais cela change une fois que l’on se retrouve dedans ce milieu. Il y a comme une sorte de sérénité dans le fait d’accompagner les morts dans leur dernier moment sur terre et les familles dans leur deuil. » Expliqua-t-il.

            « C’est très louable à vous. En parlant de dernier moment sur terre, vous vous rappelez pourquoi je vous ai appelé ? » Recentra Jade.

            « Bien entendu, vous pouvez enregistrer notre conversation, je vous donnerai mon avis avec plaisir. » L’incita-t-il à poursuivre.

            Jade aimait bien la voix de Jérôme, il était tout à fait charmant et d’un maintien sans faille, une prestance certaine avec le soin qu’il apportait à son apparence. C’était une interview des plus agréables qui s’annonçait.

            « Alors, que pouvez-vous me dire sur votre expérience personnelle ? » Commença Jade.

            « Je fais ce métier depuis 7 ans, je suis rentré dans la vie active il y a 9 ans. D’abord ambulancier, j’ai trop souvent été confronté aux décès malgré tous nos efforts, j’ai compris assez rapidement que le plus dur pour moi était de faire face aux familles des victimes. Je n’avais pas les mots pour exprimer ma compassion et j’avais l’impression d’être impuissant, j’ai donc décidé de ne pas me laisser abattre et de transformer cette désagréable sensation. Les gens continueraient à mourir quoi que je fasse, alors je me suis dit que je pouvais aider les vivants en accompagnant leur deuil, de la manière la plus exemplaire possible. » Développa l’employé du funérarium.

            « Fort bien, en somme si on ne peut lutter contre le courant, autant nager dans son sens. » Résuma Jade.

            « Oui exactement mais ne nous méprenons pas, les services soignants sont indispensables, c’est juste que je me sentais plus utile ici, que cela me correspondait mieux. » Rectifia Jérôme.

            « Vous ne faites que des crémations ici, c’est bien cela ? » Demanda la journaliste.

            « Oui c’est uniquement un crématorium, je m’occupe de l’incinération, c’est moi qui fais la révision des machines et qui lance la procédure. » Ajouta le jeune homme.

            « Vous avez donc plutôt un profil technique.« 

            « Oui, avec mon passif d’ambulancier on pourrait penser que je m’occupe de préparer le corps, pourtant je préfère mon poste actuel.« 

            « Que pensez-vous de ce qui arrive aux corps ? Du fait de remettre l’urne funéraire qui contient les cendres des défunts à leur famille. » Le questionna-t-elle.

            « Cela me paraît normal, c’est à la famille de faire le choix de garder cette urne et de répandre ses cendres, ou bien de la faire mettre dans un emplacement spécifique, dans un cimetière. » Répondit-il instantanément.

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            La conversation allait dans le sens que Jade instillait, elle était curieuse de découvrir la position de Jérôme, en effet ce dernier s’était montré enthousiaste à l’idée de témoigner, mais Jade ne savait pas quel parti il allait défendre. Étant dans la profession peut-être était-il plus attaché, plus conservateur envers les méthodes actuelles.

            Leurs interviews pour le documentaire pouvaient présenter des gens contre le projet, lorsque les arguments étaient bien construits, c’était même d’un grand intérêt.

            Tous ceux qui rejetaient la pratique sans arguments, simplement par refus de changer, arguant que ce n’était « pas naturel » ou « pas moral » sans s’expliquer, tous ceux-là n’avaient pas été retenus pour le reportage.

            « Et que pensez-vous des enterrements, des inhumations ? » Lui demanda Jade.

            « Que c’est une question de choix, que je respecte. Je pense que la symbolique n’est pas la même pour tout le monde, personnellement j’ai du mal à me dire que l’on préfère que nos morts finissent par se décomposer. » Avoua le jeune homme.

            « Vous êtes plutôt pour l’incinération alors ? Pas uniquement parce que c’est votre métier ? » Orienta-t-elle la discussion.

            « J’ai choisi cette branche pour cela, je me voyais mal donner un cadavre à la terre et aux vers, alors que l’on se donne un mal de chien pour le garder aussi présentable. Les familles aiment voir partir leur parent dans son air le plus serein et en santé possible. Cela renforce la perception du fait qu’il soit parti en paix. » Justifia-t-il.

            « Êtes-vous contre l’enterrement en vraie terre, avec ce point de vue-là ? » Asséna Jade.

            « Absolument pas, je suis même plutôt pour, par rapport à l’inhumation dans un cimetière. » Répliqua-t-il.

            « Ah ? Pourriez-vous développer ? » S’étonna la journaliste.

            Jérôme semblait content de son petit effet, il avait réussi à faire douter Jade, il n’était pas là pour simplement lui faire plaisir et prendre parti, il avait un avis complet à offrir.

            « Je vous disais que je trouvais cela normal, que la famille du défunt ait le choix sur ce qui arrive à ce dernier, donc l’inhumation où qu’elle puisse être menée, devrait être le choix de la famille. Nous sommes censés les accompagner dans cette épreuve difficile, pas les diriger. Si jamais vous leur prenez le droit de pleurer leur mort comme il le souhaite, le deuil ne se fait pas, il aura alors été volé. De plus par rapport à ma vision des choses, je préfère savoir qu’un mort retourne à la terre et devienne un bel arbre fruitier, sur lequel ses descendants pourront venir prélever de beaux fruits.

            Mais encore une fois, le choix doit revenir à la famille, si l’inhumation en cimetière est préférée, c’est celle-ci qui doit être pratiquée. Quelle qu’elle soit, la volonté de la famille doit être accompagnée. » Revendiqua l’employé du funérarium.

            « Même si cela représente un trouble à l’ordre public ou un risque sanitaire ? » Précisa Jade.

            « Bien sûr certaines pratiques doivent être découragées, mais croyez-moi, de toutes les histoires que j’ai entendu, personne ne veut voir un parent mort en pleine rue ou dans une bière sur un piédestal sur la place de la mairie. » Se défendit-il.

            « Mais si cela arrivait ? devrait-on aussi accompagner ce genre de décision ? » Insista la journaliste.

            « Vous me posez une colle, j’avoue que mon point de vue devient caduque. Les funérailles ont toujours été quelque chose de privé, à part pour les rois d’antan peut-être. Il faudrait peut-être poser un cadre pour que les différentes pratiques soient respectueuses d’une certaine sécurité, mais à partir de là il faudrait essayer de répondre au maximum aux demandes des familles. » Développa Jérôme.

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            « Donc le cadre actuel selon vous, n’est pas basé sur ces consignes de sécurité ? » Reformula la journaliste.

            « Il l’est en partie je pense mais la société évolue, ainsi que la compréhension de certaines causalités. Il y a fort à parier que les premiers rites mortuaires étaient là seulement pour rendre hommage au défunt et que très vite ils ont évolué, pour éviter que les cadavres ne répandent des maladies chez les vivants. Aujourd’hui nous sommes conscients de ces risques et tant que les funérailles sont bien contrôlées, on peut faire plus. On peut aller dans des modèles non-conventionnels de funérailles, comme l’enterrement en vraie terre, il suffit juste de respecter un protocole de sécurité suffisant. On pourra accorder aux familles ce qu’elles demandent et assurer au reste de la population une sécurité sanitaire exemplaire. » Théorisa Jérôme.

            La discussion continua un certain moment, Jade se surprenant à pousser Jérôme dans ses retranchements, plus il y avait d’arguments mis en lumière dans ce témoignage, plus il aurait de l’impact. La conviction de Jérôme fut mise à rude épreuve, pourtant Jade partageait plus ou moins son point de vue. Il lui était difficile de jouer le rôle du critique mais elle vit en lui une intarissable source de réflexions, un raisonnement cohérent qui serait une pépite pour le documentaire, aussi en profita-t-elle Lorsque l’interview toucha à sa fin, le ton avait légèrement monté et les deux interlocuteurs durent reprendre leur souffle, Jade s’adressa à lui tout en coupant l’enregistrement.

            « Désolé de vous avoir malmener de la sorte, j’ai vu que votre raisonnement était très réfléchi, je voulais en tirer le maximum. » Avoua-t-elle.

            « Effectivement vous ne m’avez pas ménagé, c’est bien de remettre son raisonnement en question de temps en temps, on finit par tant y croire que l’on pourrait s’en aveugler. S’ancrer dans ses convictions c’est potentiellement devenir borné, têtu et finir par devenir illogique. » Philosopha-t-il.

            « Nos croyances nous guident mais elles n’ont pas la carte de tous les chemins. » Plaça-t-elle nonchalamment.

            « C’est joliment tourné, j’ai tendance à dire que si je suis toujours sûr de moi, je finirais probablement par être un vieux con. » Reprit Jérôme.

            « Ah ça, l’expérience et les certitudes, rien de mieux pour vous rendre inapte au changement. » Conclut Jade.

            Ils continuèrent à échanger de la sorte pendant quelques dizaines de minutes, sans s’en rendre compte. Certes Jérôme avait dégagé un créneau pour cet interview, mais il était techniquement en train de travailler. Il s’en rendit compte au bout d’un long moment et s’excusa auprès de Jade, il affirma avoir passé un moment délicieux en sa compagnie et qu’il était agréable de pouvoir parler de choses aussi profondes. Jade lui sourit en retour, elle griffonna son nom et son numéro sur un bout de papier, Jérôme lui plaisait beaucoup et elle espérait le revoir, elle lui tendit.

            Lorsqu’il se saisit du bout de papier il eut un air étonné en la regardant.

            « Il y aura d’autres questions ? » S’enquit-il.

            « Euh oui, enfin non pas spécialement c’est à dire que… » S’empourpra-t-elle.

            « Alors j’en trouverais pour vous. » l’interrompit-il, un sourire malicieux en coin.

            Elle rougit, il plia religieusement le papier et l’inséra dans la poche de sa veste, il raccompagna Jade jusqu’à la porte et lui souhaita une bonne fin de soirée. Alors qu’elle se dirigeait vers le bus elle sentit son téléphone vibrer, elle put y lire un message d’un nouveau numéro, ce dernier affirmait qu’il était ravi de cette rencontre et qu’il fallait absolument renouveler cela. Leurs raisonnements respectifs risquaient de ne pas être complètement développés et ce serait un crime d’obscurantisme, prétexta Jérôme via son message.

            Jade eut un petit pincement de lèvres, une ébauche de sourire. Cette tournure de l’entrevue n’était pas prévue à l’origine, elle était simplement venue dans un cadre professionnel, voire post-professionnel d’une certaine manière. Après réflexion, elle décida que joindre l’utile à l’agréable une fois de temps en temps, n’était pas criminel. Elle enregistra le numéro sous le nom de Jérôme Chandonnet et se promit de le rappeler bientôt. Melvyn avait eu une très bonne idée avec ce dossier pensa-t-elle.

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Chapitre 18

            Mercredi 16 février 7h30 dans une salle du C.I.G, Melvyn Jade et Léna étaient présents pour un de ces fameux jours de formation imposés. C’était un cours donné par un intervenant spécialiste dans l’analyse de projet et sur leurs conséquences négatives. Selon ses propres mots, il était un « spé-ssimiste » ou un expert en vinaigre, car il arrivait à savoir quand un projet tournait au vinaigre justement.

            Il était très entraînant, un bel exploit compte tenu de la nature même de son travail, il semblait prendre cette dernière à contrepied et s’amusait de découvrir les bonnes intentions des entrepreneurs, derrière les catastrophes en cascades.

            Les trois colocataires aimaient bien l’intervenant, il leur était sympathique, bien que fondamentalement ils avaient décidé de ne pas prendre au sérieux ce cours. Ces formations étaient sûrement une bonne initiative, mais ils étaient encore vexés du blâme du C.I.G, surtout Melvyn.

            Cet homme était si prosélyte que Léna finit cependant par s’y intéresser, elle aimait bien le défier sur son terrain de connaissance avec des questions complexes.

            Jade elle, aimait bien observer la pléthore de personnages présents, c’était un groupe très éclectique. Il y avait ici deux chefs d’entreprises ; quatre inventeurs ; six journalistes en comptant les colocataires ; un free-lance dans l’informatique et quelques autres personnes qui avaient dans leur temps libre, trouvé un moyen de contrarier le C.I.G.

            Melvyn quant à lui, passait son temps à attendre, regardant par la fenêtre ou en essayant de bavarder avec ses voisins et voisines, il mettait un point d’honneur à ne rien faire et il s’appliquait bien le bougre. L’intervenant monsieur Garland, n’en avait cure, il était clairement là pour faire cours à ceux que cela intéressait, d’ailleurs ceux qui posaient des questions obtenaient de solides réponses, de vrais échanges empreints de passion.

            Garland avait cette vocation dans le sang, son credo : faire attention à ne pas faire de dégâts lorsque l’on fonce tête baissée, en croyant faire le bien.

            Melvyn était bien plus intéressé par la brochure qu’il avait entre les mains, ‘Comment la science va-t-elle réparer l’atmosphère’, le titre était accrocheur. En la feuilletant il se rendit compte que cela tournait énormément autour des composés dont tout le monde parlait dernièrement, les équipes de scientifiques rivalisant à l’envi sur des idées toutes plus ambitieuses les unes que les autres. Minimiser les rayons du soleil ; renforcer la couche d’ozone ; refléter les rayons ultraviolets artificiellement ; décomposer les GES et bien d’autres encore. Aussi fou que cela paraisse, tous ces projets étaient bels et bien en chantier et les avancées globales de chacun étaient listées, Melvyn essayait de les lire mais les discussions dans la salle le distrayaient en continu.

            « Comment faire pour percevoir que nos actions n’auront pas d’effets négatifs ? Sachant que les effets considérés comme négatifs pourraient ne pas l’être aux yeux de nos propres valeurs ? » Demanda Léna, levant sagement le doigt.

            « Très bonne question madame, car très difficile à répondre, l y a plusieurs moyens pour essayer de cerner les conséquences potentielles. On peut commencer par faire des recherches, pour voir si cela a déjà était fait ailleurs, je sais que certains sont persuadés d’avoir inventé l’objet du siècle, mais il en existe déjà peut-être une version différente ailleurs. On peut même parfois retrouver dans l’histoire lointaine, des prototypes de nos inventions actuelles.

            Ensuite on peut faire un test avec un petit panel de personnes, parfois les proches et parfois des gens de son village, je reconnais que cette technique n’est pas très fiable, avec cet échantillonnage réduit, parfois la subjectivité de nos amis étant trop forte. Je la décommande fortement pour des tests de recettes médicales maison, surtout s’il y a des champignons ou plantes dont on est persuadé de connaître les propriétés.

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            On peut aussi demander l’avis d’experts et je sais de quoi je parle, de la part du C.I.G, de gens comme moi ou dans la branche spécifique de votre projet. Là aussi rien n’est sûr, puisqu’on a tendance à prendre la grosse tête et à être trop sûr de nous. On essaie souvent de partager nos avis pour arrêter de se prendre pour Dieu, mais certains de mes confrères voguent en orbite, en se sentant tellement haut placés, j’espère que ce n’est pas mon cas et que ça ne m’arrivera pas. » Développa Garland.

            « Vous avez l’air plutôt raisonnable. » Intervint un participant.

            « Je vous remercie pour ce soutien, le mieux pour arriver à discerner si l’on est en train de fabriquer une bombe à retardement, reste le recul. Il faut savoir prendre du recul sur ses projets, même s’ils nous passionnent, accepter de recevoir des avis extérieurs, y réfléchir et se remettre réellement en question. Et si l’on pense toujours être dans le droit chemin, continuer.

            Je sais que je suis sensé vous découragez de faire des projets qui paraissent problématiques, aux yeux du C.I.G, mais à dire vrai, les grandes percées technologiques ont toujours remis en question les normes de l’époque. Aujourd’hui il faut veiller à ne pas blesser son voisin et l’environnement, réfléchissez bien et quand vous êtes sûrs, foncez. Passez par le C.I.G pour avoir une validation si possible, au pire vous remanierez votre projet ou vous l’abandonnerez, mais vous vous serez éclatés à le faire même s’il n’aboutit pas. » Expliqua monsieur Garland.

            Les participants étaient plutôt décontenancés, on leur avait dit que ce cours leur permettrait de savoir comment mener à bien leur projet, dans un cadre plus respectueux des normes du C.I.G. Or monsieur Garland semblait plutôt d’une école de pensées qui consistait à essayer d’abord puis à demander pardon. Bien qu’il ait rappelé de demander une approbation par les autorités compétentes, il semblait aimer que le processus de création soit libre.

            « Mais nous risquons de passer un temps fou sur des projets que l’on ignore voués à être rejetés. » S’indigna Jade.

            « C’est possible mais si vous essayer de demander au C.I.G ce qu’il pense de votre projet, alors qu’il n’est qu’à l’état embryonnaire, vous aurez du mal à obtenir un rendez-vous, car vous pensez bien qu’ils sont inondés d’appels de ce genre. De plus si vous arrivez avec un projet que vous avez testé à petite échelle, vérifié plusieurs fois et que vous avez bien travailler votre argumentaire, il y a plus de chances que cela passe. » Justifia l’intervenant.

            « Mais les critères de sélection restent pourtant bien les mêmes. » Argumenta Léna.

            « C’est bien vrai mais quand vous arrivez avec votre bébé, votre passion, et que malgré tout vous êtes prêt à le remanier pour coller aux critères, vous avez plus de chances de trouver quelqu’un de réceptif en face de vous. Vous savez, les membres du C.I.G sont des chercheurs de solutions pas des murs de pierres lisses, ils sont humains avant tout. » Rappela Garland.

            « Pas tous. » Souffla Melvyn à demi-mots.

            Il se remémorait l’employé qui l’avait reçu dans son petit bureau, qui avait traité son dossier comme d’un rien sans se soucier des protestations de Melvyn. Peut-être que ce qu’il avait vu sur son écran l’avait incité à couper court à la conversation, mais Melvyn se sentait encore frustré d’avoir heurté ce mur de rejet. Il imaginait sarcastiquement l’employé se brancher à une prise électrique tous les soirs, pour se recharger, il le trouvait crédible en androïde.

            Maintenant que leur documentaire avançait à grands pas, Melvyn se sentait plus serein. Le nombre de témoignages explosait, le montage avançait bien et leurs recherches aussi, il se sentait confiant. Le plus étrange était que le C.I.G ne viennent rien leur dire, pourtant ils étaient au courant de leurs agissements, comme en attestait les propos de DeMarny.

            Aucunes nouvelles, pas une lettre, pas un mail ni un seul coup de téléphone et aujourd’hui dans les locaux du C.I.G, pas d’intervention d’employé remonté ni de discussion entre deux portes. Melvyn trouvait cela louche et en même temps il se rassurait en pensant qu’ils n’avaient rien publié.

            La plus forte action que l’on pouvait attenter contre eux était une tentative de dissuasion, mais aucunement les inculper de parler à des gens qui acceptaient de converser.

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            Il feignit de s’intéresser au cours de temps en temps, par respect pour l’intervenant, de plus les idées qu’il exprimait étaient intéressantes, mais Melvyn toujours renfrogné, doutait que ces beaux principes soient appliqués par le C.I.G.

             Jade et Léna quant à elles étaient rentrées dans le jeu et étaient devenues très proactives, ne laissant pas beaucoup de repos à monsieur Garland.

            Si bien qu’à la fin de la session il avait desserré sa cravate et semblait lessivé. Tout le monde le remercia sincèrement pour son implication et son partage, Melvyn compris, puisqu’il lui semblait avoir profité du temps de ce sympathique bonhomme pour ne rien faire, il lui devait bien des excuses déguisées en remerciements.

            Lorsque les trois colocataires reprirent le chemin du bus ils semblaient soulagés que le C.I.G n’ait pas envoyé d’employés pour leur faire la morale. Cependant Léna restait pensive, le cours de Garland remettait en question leurs agissements clairement à l’encontre de l’avis du C.I.G. Elle ne changerait pas forcément d’avis mais c’était la moins bornée des trois, elle réfléchissait souvent pour pouvoir se rendre compte si elle ne s’enfonçait pas juste dans l’entêtement. Ses pensées l’accompagnèrent une bonne partie du trajet jusqu’à Trets, n’arrivant pas à statuer sur sa partialité. Elle conclut qu’il valait mieux se maintenir occupée en montant le projet et demander la permission, comme le suggérait monsieur Garland, mais le plus tard possible…

*

            Le dernier samedi de février les colocataires entendirent la cloche sonner, pourtant ils n’attendaient personne. C’était un début d’après-midi tranquille et comme c’était un jour de repos pour tous, ils avaient commencé un jeu de plateau, construit et inventé à Trets par un artisan du bois local. Ils laissèrent leur partie en plan pour que Melvyn aille voir au portail.

            À peine eut-il mis les pieds dehors qu’il jura, le visiteur était le père Clément, dans son manteau de mi-saison, il avait toujours ce regard défiant derrière ses lunettes rondes.

            Melvyn vint à sa rencontre, sans esquisser le moindre mouvement pour lui ouvrir le portail.

            « Qu’est-ce que vous voulez Clément ? » Annonça-t-il sèchement.

            « Vous êtes bien rude, me confisquer mon titre et me refuser l’accueil par ce froid. » Répondit le prêtre.

            « Je trouve que vous ne les méritez pas, l’un comme l’autre, je suis moins généreux que mes amies. » Cracha Melvyn.

            « Soit faisons cela ici et vite. Je viens vous demander d’arrêter vos machinations, votre manie de faire des reportages nous fait croire que vous ne lâchez pas l’affaire. » L’accusa Clément.

            « Simple curiosité personnelle. » Mentit éhontément Melvyn.

            « Mais bien sûr faites le malin. Nous vous avons clairement signifié que cette histoire devait être gérée par des professionnels, pas par de mesquines personnes vexées de s’être fait retiré leur jouet. » Asséna le prêtre.

            Melvyn eut envie d’ouvrir le portail pour lui balancer une beigne en plein visage, mais il se retint, le portail représentait une barrière qu’il ne voulait pas franchir, physiquement comme mentalement. Envenimer la discussion aurait été une vraie bêtise, il se contenta de ruminer ses mauvaises pensées et de serrer les dents. Traiter ainsi leur blog, leur vocation et passion, de simple jouet, Clément savait décidément comment énerver le jeune homme.

            « Parce que vous, vous laisseriez l’enterrement en vraie terre devenir possible ? » Lâcha-t-il enfin.

            « Si ça ne tenait qu’à moi bien sûr que non, mais le C.I.G creuse la piste à cause de vous. Vous leur avez donner un os à ronger et maintenant ils se font les dents. » Pesta le prêtre.

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            « Très bien, alors ils sont de notre côté au final ? » S’étonna Melvyn.

            « Bien sûr que non, ils ne veulent juste pas que l’affaire leur échappe. Vous les avez mis dos au mur et vos interviews ne font que renforcer les questionnements du peuple. » Railla l’homme d’église.

            Melvyn ne voyait en vérité, qu’une personne aux abois, en face de lui, le père Clément ne faisant peser aucune menace au-dessus de leurs têtes. Il croisa les bras et défia du regard le prêtre, avec un petit sourire en coin.

            « Mais en fait vous essayez juste de m’intimider mon père ? » Le provoqua-t-il.

            « Je vous préviens juste, avant que vous ne déclenchiez sciemment une catastrophe. » Se défendit Clément.

            « Allons vous avez entendu comme moi les rapports du C.I.G, certes il y a eu des problèmes mais de là à parler de catastrophes, n’exagérons rien. » Triompha le jeune homme.

            Le père Clément recula, fit un tour sur lui-même en se passant la main sur le visage et revint à la charge, visiblement exaspéré.

            « Mais est-ce possible d’être aussi borné ? Vous pensez qu’avec vos petites vengeances personnelles vous avez le droit de mettre en péril la sécurité de la population ? » s’énerva-t-il.

            « D’après nos recherches et sources, dont certaines validées par le C.I.G, ce n’est pas la sécurité de la population que nous mettons en danger. C’est votre quasi-monopole sur les rites mortuaires en France. » Répliqua Melvyn.

            « Jouez aux anti-lobbyistes si cela vous chante, mais ne pleurez pas quand cela foirera en beauté, on vous aura prévenu. En plus on sera trop préoccupé à réparer vos âneries pour vous prêter une épaule compatissante. » Lâcha Clément.

            Le prêtre se détourna rageusement de la conversation, rajusta son manteau et s’en alla d’un pas ferme. À ce moment-là Léna qui commençait à trouver le temps long, sans que Melvyn ne revienne seul ou avec un invité, passa la tête par la porte et risqua de demander.

            « C’était qui Melvyn ?« 

            « L’annonciateur de notre victoire.« 

            Il se retourna vers la maison et de son sourire fier il éluda l’incompréhension de Léna, pour inciter à reprendre la partie. Il lui promit bien sûr de s’expliquer mais pas avant d’être au chaud.

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